
L'univers de Takashi Murakami (partie 1)
, 4 min temps de lecture

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Nombreux sont les personnages qui peuplent l’univers de Takashi Murakami, mais trois d’entre eux tiennent incontestablement le haut de l’affiche : Mr. DOB, Kaikai et Kiki. Ces personnages constituent une source d’inspiration pour Murakami et leur portée dépasse la simple dimension esthétique. Ils sont le reflet des idées, du raisonnement et des émotions de l’artiste, mêlés à la culture japonaise et à la société de consommation contemporaine.
À première vue, chaque œuvre de Murakami séduit par sa beauté : colorée et ludique. Crânes, fleurs ou champignons encadrent la scène. La méconnaissance, comme souvent lorsqu’il s’agit d’art, conduit facilement à qualifier ces créations de simples, naïves voire frivoles. Loin de là : en plongeant dans l’univers de Murakami, on découvre une multitude de symboles d’une grande complexité. Il est même possible que chacune de ses œuvres renferme autant de profondeur théorique que son processus créatif. Mais nous y reviendrons une autre fois.
Crânes, fleurs ou champignons composent une flore et un décor. Mr. DOB, Kaikai, Kiki, Takashi Murakami lui-même et même son chien Pom sont les véritables protagonistes de chaque récit.
Plus le spectateur s’immerge dans l’œuvre de Murakami, plus il s’émerveille de son riche héritage culturel. Murakami n’est pas seulement un grand artiste : il est aussi un fin connaisseur de sa culture et de son histoire, ainsi qu’un érudit des domaines de la peinture ou de l’histoire des religions. À cette base érudite s’ajoute sa curiosité envers la société contemporaine, donnant naissance au fameux style « Superflat », signature de son travail.
On dit que Mr. DOB est l’alter ego de Murakami. Il apparaît dans de nombreuses œuvres sous diverses formes et en différents nombres. Tantôt innocent et enfantin, tantôt déformé, malpropre et maléfique, Mr. DOB incarne la métamorphose et le questionnement constant de son environnement, pièce maîtresse de cette mise en scène intellectuelle préparée par l’artiste.
Que signifie Mr. DOB ? Littéralement « Monsieur Questions ». DOB est l’acronyme de « dobojite, dobojite », une expression dada inventée par Murakami, qui en argot japonais veut dire « pourquoi ?, pourquoi ? ». Mr. DOB interroge sans cesse son environnement : c’est là son essence même.
Mr. DOB est également un recueil d’idées et d’images savamment conçues, souvent invisibles au premier regard. Les grandes oreilles évoquent Mickey, et le rouge, blanc et bleu font référence au drapeau américain. Les yeux surdimensionnés, chéris dans l’illustration japonaise, complètent ce personnage qui lie les États-Unis et le Japon. Mr. DOB symbolise l’influence américaine sur l’image et le design japonais, née après la Seconde Guerre mondiale lorsque l’animation américaine arriva au Japon et fut réinterprétée pour devenir ce qu’on appelle aujourd’hui « anime ».
La serie 727 illustre parfaitement cette dynamique : Mr. DOB y apparaît comme une créature menaçante sur fond de peinture traditionnelle Nihonga. Cette œuvre exprime la peur et le scepticisme de Murakami face au colonialisme et à une influence extérieure excessive, susceptible de fragiliser la culture japonaise ancestrale. Le contraste entre la profondeur du style Nihonga et la simplicité des couleurs planes de la figure « Superflat » souligne la tension entre la banalité consumériste et la richesse culturelle.
Mr. DOB accomplit sa transformation ultime en Chaos, entité mutante vouée à la destruction et au désordre. Murakami, né en 1962, grandit à l’époque des séries de science-fiction japonaises où Tokyo était sans cesse anéanti par des monstres. Ce cycle de chaos, souvenir collectif de l’après-guerre, se reflète dans Chaos, incarnation du désir de détruire et d’être détruit.
En somme, Mr. DOB est un outil narratif que Murakami déploie selon le contexte, lui donnant à chaque fois de nouveaux sens. Une chose est sûre : pour mieux comprendre Takashi Murakami, il suffit de regarder au-delà de cette silhouette aux grandes oreilles.
Envie d’en savoir plus ? Découvrez TAKASHI MURAKAMI’s UNIVERSE (part 2)